Hypercube – Appréhender la quatrième dimension sans perdre la tête
Dans cet article, on va apprendre à dessiner des objets géométriques de plus de trois dimensions.
Ce que je trouve inspirant
La géométrie en haute dimension met notre créativité à l’épreuve. Imaginer des hyperespaces, c’est tout bonnement impossible : on peut essayer en déformant subjectivement nos pensées, mais au final, on obtient une image mentale honteusement réductrice de la réalité mathématique.
J’aime l’idée selon laquelle cette incapacité serait le symptôme d’un théorème d’incomplétude de Gödel appliqué à notre esprit : notre cerveau, construit pour évoluer dans un monde en trois dimensions, ne dispose tout simplement pas des outils pour percevoir des dimensions supérieures. C’est un peu comme si l’on vous demandait d’imaginer une nouvelle couleur primaire, absente du spectre lumineux. C’est inconcevable. Cela n’a pas dissuadé certains scientifiques de les modéliser. Le mathématicien suisse Ludwig Schäfli (au XIXème siècle) fut l'un des premiers à formaliser les objets de dimension supérieure à 3.
L’exemple du tesseract : ou comment voir le cube en grand
Essayons d’abord de suivre la logique de construction du tesseract (le cube en quatre dimensions). On part d’un point. En éloignant un second point et en les reliant, on obtient un segment. En faisant glisser ce segment dans une direction orthogonale à sa longueur, on obtient un carré (oui, je sais, c’est de la haute voltige pour l’instant). Glissons ce carré dans une nouvelle direction orthogonale : on obtient un cube. À chaque dimension ajoutée, le nombre de "facettes" augmente de deux unités : pour le cube, six faces carrées.
Maintenant, faisons glisser ce cube dans une direction orthogonale à toutes les précédentes (ce que votre imagination refusera poliment de faire), et vous obtenez un tesseract, un polychore à huit cellules cubiques repliées dans la quatrième dimension. Techniquement, le tesseract est aussi appelé octachore (littéralement "8 cellules") ou 4-cube. Plus généralement, on parle de polytope pour désigner un objet géométrique dans n'importe quelle dimension. En résumé :
- 0-polytope (0D) = point
- 1-polytope (1D) = segment
- 2-polytope (2D) = polygone = contour délimitant une surface (ex : carré)
- 3-polytope (3D) = polyèdre = contour délimitant un volume (ex : cube)
- 4-polytope (4D) = polychore = contour délimitant un 4-volume (ex : tesseract)
Et si on continue ? On obtient un 5-cube, composé de 10 tesseracts repliés dans la cinquième dimension. Le nom déca-5-tope est parfois rencontré (pour signifier 5-cube de 10 facettes), mais j’aurais plutôt dit déca-4-tope, puisqu’il est fait de 10 tesseracts qui sont des 4-polytopes, au même titre qu’un cube pourrait s’appeler hexa-2-tope (fait de six carrés).
Plus poétiquement, on trouve aussi le terme penteract (du grec "cinq rayons"). Les dimensions supérieures suivent la même logique : hexeract, hepteract, octeract...
Pourquoi le tesseract a-t-il une symbolique singulière ?
Parce que le cube, sa base, est perçu comme une forme parfaite : régulière, simple, présente partout. Et le tesseract en est une élévation : 8 cubes qui s’emboîtent dans une logique spatiale déroutante. Ensuite, le nombre 8 n’est pas anodin : il rappelle la lemniscate de Bernoulli, symbole de l’infini. Et visuellement, un tesseract projeté dans notre espace 3D est relativement simple à dessiner : un petit cube dans un grand, relié par leurs sommets.
Et si votre perspective cavalière est astucieuse, il se réduit à un petit hexagone dans un grand hexagone. L’effet est moins orthodoxe, mais tout aussi intriguant.
Tesseract & Fiction
Le tesseract est souvent utilisé dans le réel et la fiction. Une rumeur affirme par exemple que la Grande Arche de la Défense serait une projection tridimensionnelle (creuse) d’un tesseract. Je vous laisse juger.
De son côté, le film Interstellar nous en présente une version intéressante dans la scène de la bibliothèque. Il ne s’agit pas d’un tesseract au sens strict, mais plutôt d’un mucube : une structure cubique infinie faite de cellules et de vides alternés. Visuellement, ce mucube peut être interprété comme un enchevêtrement de patrons tesseractiques. Dans le film, parcourir ce mucube revient à visiter la même cellule à travers le temps.
Le Tesseract de Malgovert
Dans ma série Malgovert, le Tesseract désigne une réalité virtuelle constituée de huit scènes baptisées “échos” (des représentations alternatives de certains lieux sur Terre). Ces échos recèlent les coordonnées de serveurs informatiques abritant la conscience numérisée du principal antagoniste. Mais ces huit échos sont également les antres de créatures numériques monstrueuses, dont le but est d’éliminer (cérébralement) les explorateurs qui osent s’y aventurer.
Après le cube, le dodécaèdre (dé à douze faces pentagonales)
Toujours dans Malgovert, un laboratoire secret est dissimulé à la sortie d’un étrange labyrinthe constitué d’une soi-disant infinité de salons pentagonaux connectés par des antichambres.
Ce labyrinthe est baptisé “120-cellules”, nom donné à l’analogue 4D du dodécaèdre. Initialement, je l’avais baptisé hécatonicosachore (littéralement, 120-cellules en grec), mais j’ai fini par me dire que ce serait cruel pour les lecteurs.
Dans les faits, ce labyrinthe donne simplement l’illusion de se composer de 120 salons, mais il est en réalité constitué d’une unique pièce mobile que l’on traverse à l’infini ! L’architecture s’inspire donc davantage du dodécaèdre de Poincaré : quand on sort d’un salon pentagonal, on y rentre à nouveau en tournant de 36°. Un peu comme dans certaines forteresses de Super Mario.
Bref, une architecture à vous rendre cinglé. Et c’est bien ce qui pourrait arriver au héros du roman…